François Bel, Ostéopathe DO.
Article publié dans la revue Apostill -Journal de l’Académie d’Ostéopathie N°6 -mars 2000.
Nous connaissons les éléments composant le mécanisme respiratoire primaire, tels qu’ils furent décrits par William Garner Sutherland : mobilité inhérente du système nerveux central, mouvement involontaire des os du crâne, tension des membranes internes, fluctuation du liquide céphalo-rachidien et mobilité du sacrum entre les iliaques. Partant d’un point de vue essentiellement mécaniste William Garner Sutherland est parvenu, vers la fin de sa vie, à une conception beaucoup plus spirituelle du concept crânien. Il semble même que cette évolution se soit faite relativement brutalement. William Garner Sutherland a-t-il reçu quelque influence extérieure qui aurait induit ce brutal changement de concept ?
Dans un texte appelé A Sutherland Sensory Chronology (Chronologie sensorielle de Sutherland), James Jealous, ostéopathe contemporain, élève de Rollin Becker et de Robert Fulford écrit : “ Au cours de ses explorations, la perception qu’avait le Dr Sutherland du mécanisme respiratoire primaire et de ses lois évolua, partant d’un système motivé de l’intérieur (c’est-à-dire le système nerveux central mobilisant les membranes, les membranes mobilisant les os et faisant fluctuer le liquide céphalo-rachidien) à un système catalysé par le Souffle de Vie. Il décéda alors qu’il se trouvait en pleine transition conceptuelle ” (Jealous, 1997). Lors de ses dernières conférences, William Garner Sutherland, parlait de potentiel inhérent (Potency), de transmutation, d’Étincelle Initiale (Initiative Spark), de Souffle de Vie (Breath of Life), de Marée (Tide), etc. James Jealous[1] remarque qu’il est passé d’une conception biomécanique de l’ostéopathie à une conception biodynamique. À partir de l’étude chronologique qu’il a menée sur l’évolution de Sutherland, James Jealous détermine que le changement majeur dans le pensée de Sutherland est intervenu vers l’année 1948[2].
Une influence extérieure ?
William Garner Sutherland affirme avec humilité ne rien avoir ajouté au concept ostéopathique énoncé par Andrew Taylor Still : “ Comprenez que le concept crânien ne constitue pas la tête de l’ostéopathie. Pas du tout. L’ostéopathie est la tête, alors que l’idée crânienne pourrait être appelée la ‘queue’ attachée au ‘corps’ de ‘l’écureuil dans le trou de l’arbre’, la pensée crânienne n’étant qu’une ‘présentation par le siège’ avec peut-être une prise plus ferme sur la ‘queue’. Ce qui est suggéré en aparté, c'est une invitation pour le médecin chirurgien ostéopathe à s'engager sur le chemin de l'étude et à poursuivre l'exploration de la science de l'ostéopathie envisagée dans les écrits de son fondateur ” (Sutherland, 1998, 217). Pourtant il a fallu du génie pour découvrir et développer l’ostéopathie crânienne. On sait par ailleurs que William Sutherland insistait souvent sur l’importance de toujours continuer à “ creuser ” (Dig On)[3]. Cette attitude permanente, celle du chercheur, de l’expérimentateur, explique en partie les différentes intuitions qui lui permirent de prolonger ses explications du concept crânien : “ Il était évident qu'une intime, puissante et insistante intuition exerçait une influence sur ses décisions. ” (Strand Sutherland, 1962, 38).
Il est toutefois légitime de se demander quelles sources extérieures d’inspiration nourrirent cette intuition, l’amenant vers la fin de sa vie à développer des théories notoirement vitalistes. Par qui Sutherland a-t-il été influencé ? C’est en “ creusant ” dans la lecture de différents textes ostéopathiques que nous avons découvert la relation existant entre William Garner Sutherland et Walter Russell. D’après Zachary Comeaux[4] ostéopathe américain contemporain, “ les Docteurs Sutherland et Fulford aimaient s'entretenir avec le philosophe néo-platonicien Walter Russell. Ce dernier a contribué à établir le cadre d'une cosmologie incluant ce qui deviendra plus tard la médecine dite énergétique. ”[5]
Le Docteur William H. Stager[6] nous dit également : “ Le Dr Walter Russell, et le Dr Sutherland furent amis pendant plusieurs années ”[7].
En 1979, dans une conférence à la mémoire de Sutherland intitulée The Search For An Answer Robert Fulford évoque plusieurs fois cette relation.
Walter Russell est également évoqué par Jacques Andréva Duval dans son livre Introduction aux techniques ostéopathiques d’équilibre et d'échange réciproque qui relate son expérience de travail avec Rollin Becker, élève direct de Sutherland, lequel décrit un concept philosophiquement très proche de la pensée de Walter Russell.
Qui est Walter Russell ?
Walter Russell (1871-1963) fut un autodidacte (il quitta l’école à dix ans) particulièrement réussi dans de multiples domaines : peinture, sculpture, architecture, science physique et philosophie. “ En 1921 pendant presque un mois, il vécut une expérience mystique d’illumination qui lui révéla comment l'univers a été créé. ” (Clark, 1996, 34). Russell a passé le reste de sa vie à mettre en oeuvre et à transmettre les lois universelles dont il avait reçu la révélation. Son oeuvre écrite exprime cette connaissance sous forme de textes vulgarisateurs : The Secret of Light (1947), scientifiques : A New Concept of the Universe (1953) et même épiques : The Divine Iliad (1948).
Proche de Franklin Roosevelt et de Paderewski,[8] il fréquenta des personnages éminents de son époque : Rudyard Kipling, Thomas Edison, George Bernard Shaw[9] et beaucoup d’autres. Ses peintures lui valurent une renommée internationale, ses sculptures ornent les parcs des plus grandes villes d’Amérique, les appartements qu’il a conçus et construit font partie du patrimoine architectural de la ville de New York, tandis que nous profitons aujourd’hui encore de ses trouvailles en matière d’immobilier. Il fut également à l’origine de découvertes scientifiques majeures[10] (Clark, 1996).
D’après Robert Fulford, il attira particulièrement l’attention sur la Loi de l’Équilibre : “ La loi universelle d’équilibre est le principe d’échange égal entre toutes les choses en création préservant à la fois l’unité et la continuité de l’Univers. L’équilibre est le principe de l’unité et de l’identité. De lui vient la stabilité. L’échange équilibré est le principe d’égalité de distribution entre des paires d’opposés mobiles et non équilibrées. L’échange rythmique et équilibré constitue le principe de la continuité de l’effet. La loi de l’équilibre est la loi d’amour sur laquelle l’univers est fondé, par conséquent, le principe fondamental de la nature, et l’échange rythmique équilibré est la note dominante de son expression à travers l’action ” (Fulford, 1979).
De nombreux points communs philosophiques
Avant d’étudier les liens et les idées communes unissant Sutherland et Russell, il semble important d’établir un parallèle entre leurs publications. C’est en 1927 dans un livre intitulé The Universal One que Walter Russell, commence à exprimer ses idées, mais c’est surtout entre 1947 et 1949 avec The Secret of Light (1947), The Message of the Divine Iliad (1948-49) qu’il développe, approfondit et enseigne sa philosophie.
James Jealous fait remarquer que c’est à partir d’avril 1948 lors du cycle de conférences de Des Moines que William Sutherland commence à développer un concept plus vitaliste, s’orientant vers le biodynamique. Désormais, et jusqu'à sa mort en 1954, ses conférences sont imprégnées de ces considérations.
A la vue de cette chronologie, et compte tenu des points communs que nous allons développer, nous sommes en droit de supposer que William Garner Sutherland fut influencé par l’œuvre de Walter Russell et non le contraire.
Pour étayer notre propos, nous proposons une analyse comparative plus détaillée de la pensée des deux hommes, destinée à cerner plus précisément l’influence que l’œuvre de Russell a pu exercer sur celle de Sutherland.
Information et Connaissance
Dans son livre The Secret of Light, publié en 1947, Walter Russell décrit ainsi les liens qu’il établit entre information et connaissance : “ L’information acquise par les sens n’est pas la connaissance. Un homme peut posséder une information étendue et une grande dextérité, mais ne posséder que très peu de connaissance. Par exemple, les plus grands scientifiques d’aujourd’hui sont bien informés. Ils savent comment faire des choses merveilleuses, mais connaissent-ils le pourquoi de ce qu’ils font ? Un homme peut être une véritable encyclopédie d’information. Il peut avoir acquis de nombreux diplômes de collège pour être bien informé et cependant ne pas posséder de connaissance suffisante pour créer quoi que ce soit. Ainsi confondons-nous sentir avec penser et connaître alors que nous n’avons fait que fonctionner à travers la sensation électrique de conscience acquise à partir de l’information. Jusqu’à ce que cette transformation se produise, l’homme est sans connaissance quelle que soit la quantité d’information apportée par ses sens, car l’information n’est pas la connaissance ” (Russell, 1994, 43).
Dans “ Obtaining Knowledge versus Information ” (Obtenir de la connaissance plutôt que de l'information),[11]premier chapitre du livre Teachings in the Science of Osteopathy, compilation d’une série de cours donnés entre 1949 et 1950, il est très surprenant de constater que Sutherland établit presque mot pour mot le même parallèle : “ Il me fallait expérimenter sur une tête vivante parce que je voulais obtenir une connaissance que le crâne mort d'un spécimen de laboratoire ne pouvait me procurer. Pour prouver que le mouvement entre les os d'un crâne vivant est impossible, il me fallait accumuler du savoir sur beaucoup de choses. Si j'avais testé ces choses sur d'autres personnes, je n'aurais obtenu que de l'information ; eux auraient eu la connaissance. ” (Sutherland 1990, 4-5). Dans un autre passage, Il décrit une expérimentation sur la relation entre crâne et sacrum et conclut en disant : “ Voila une connaissance acquise, pas seulement de l'information ” (Sutherland, 1990, 7). En juillet 1950, il exprime à nouveau cette idée lors d’une conférence intitulée “ Obtaining Knowledge versus Information ” : “ Obtenir la connaissance plutôt que de l'information commence très tôt dans l'enfance. ” (Sutherland, 1998, 227)
“ The Bending of the Twig ” (la courbure de la jeune pousse)
Lors de sa conférence de 1979, le docteur Fulford explique que “ le Dr Russell a écrit The Bending of the Twig,[12] décrivant le modelage du caractère chez un individu. Le Dr Sutherland a écrit As the Twig is Bent qui décrit les effets des déformations de naissance dont nous ne guérissons jamais. Les deux hommes s’intéressèrent au développement du potentiel humain ”. Nous trouvons là une similitude de pensée allant jusqu’aux mots utilisés.
C’est en 1914, que Walter Russell commence a écrire The Bending of the Twig (Clark, 1996, 5) en utilisant cette expression pour évoquer l’évolution de l’homme. William Sutherland utilise cette métaphore beaucoup plus tard, à la suite de son expérience dans le traitement des enfants, acquise lors de ses stages en institutions pédiatriques dans les années 1936-37 et des premières applications du concept crânien qu’il y fit dans le traitement des enfants. Il utilisera cette expression pour étayer son étude centrée sur le crâne de l'enfant et ses modèles de croissance au cours du développement (Strand Sutherland, 1962, 69-72).
Ces premières comparaisons entre les pensées de Walter Russell et de William Garner Sutherland, pourraient nous laisser croire qu’il s’agit de pure coïncidence, que peut-être à l’époque ces idées étaient “ dans l’air du temps ”. Il est effectif que l’idée de “ bent twigs ” est tirée d’un dicton. Mais en prolongeant l’analyse sur des données plus ostéopathiques nous retrouvons encore de troublantes “ coïncidences ”.
Fulcrum
Nous avons découvert avec beaucoup de surprise que Walter Russell utilise dans son œuvre le concept du fulcrum : “ Un levier bougeant sur ses fulcrums, exprime l’idée de puissance par le mouvement, mais l’idée de puissance est dans le fulcrum immobile, source de puissance.[13] Elle n’est pas dans le levier en mouvement. S’il ne possède pas l’immobilité du fulcrum à partir duquel prolonger l’apparence de la puissance, le levier est à la fois sans puissance et sans mouvement ” (Russell 1994, 39). Il étend également le concept du fulcrum au domaine plus subtil de la pensée : “ Votre corps est le reflet de votre pensée. Vous lui impulsez l’existence par les ondes de pensée jaillissant du fulcrum que constitue votre désir de manifester votre moi ” (Lao Russell 1972, 45). Pour l’anecdote, indiquons que, The Fulcrum était le titre de la revue d’information de la Fondation Russell lors de sa création. Cela met en évidence l’importance qu’il attribuait à ce concept.
Quelques années plus tard, avec des mots presque similaires, William Garner Sutherland applique le même concept à l’ostéopathie crânienne en le définissant ainsi : “ Un fulcrum est un mécanisme immobile ; le levier bouge sur lui et en tire sa puissance. En cours d’utilisation, la position du fulcrum sur le levier peut se trouver modifiée mais il demeure un mécanisme d’équilibre immobile à partir duquel le levier opère et obtient sa puissance. Lorsque le technicien crânien visualise clairement le fonctionnement de ce mécanisme, et ressent le toucher connaissant, il a l’impression que tout devient vivant ” (Sutherland, 1998, 238).
En parallèle à l’anecdote concernant la revue The Fulcrum, les Sutherland donnèrent à leur maison de Pacific Grove en Californie, où William termina sa vie, le nom de Villa Fulcrum (Sutherland, 1998, 254) & (Adah Strand Sutherland, 1962, 91-93).
Fulcrum et immobilité
Walter Russell associe le concept de fulcrum à celui d’immobilité : “ Sur la pelouse, vos enfants jouent sur une balancelle. Ils vont et viennent de haut en bas assis sur une planche supportée en son centre par un axe agissant comme fulcrum. En les regardant, on se rend compte que ce mouvement et la puissance apparente seraient impossibles sans l’existence du point d’immobilité au niveau du fulcrum. D’où viennent par conséquent le potentiel et l’énergie dynamiques de vie que semblent posséder vos enfants ? Ils ne viennent certainement pas d’eux-mêmes, pas plus que de la planche car aucun d’eux ne pourrait bouger d’un centimètre s’il n’existait ce point d’appui immobile à partir duquel les leviers bougent et à partir duquel les planches sont déployées. L’enfant ne pourrait pas non plus bouger si l’autre ne bougeait dans la direction opposée ” (Lao Russell 1972, 81).
Dans La promenade du vairon (The Tour of the Minnow), dont existent plusieurs versions[14], William Sutherland évoque également le concept de fulcrum : “ Ce fulcrum suspendu est comparable à celui existant dans les anciennes balances, que l'on suspendait au plafond. J'ai vu une telle balance reproduite dans une réplique du premier comptoir commercial au Cap Code. Le fulcrum autour duquel agissait la balance était le point immobile, le point de force dans la fonction du mécanisme. Il suffisait d'une petite secousse pour la faire balancer, tellement elle était sensible. (Sutherland, 1998, 346).
Le fulcrum établit une immobilité dans l’espace. Avec le still point qu’il évoque en parlant de la fluctuation du liquide céphalo rachidien, Sutherland rapporte le concept de l’immobilité au temps : “ Je désire que vous attachiez vous aussi de l'importance au fulcrum, pas seulement à celui qui se trouve dans le mécanisme articulaire membraneux, mais plus spécialement le still point de la fluctuation du liquide céphalo-rachidien. Vous arriverez là plus près de la compréhension de ce que le Dr Still voulait dire quand il parlait de ‘l'élément le plus noble connu’ dans le corps humain vivant. ” Dans un autre passage du même texte, il précise : “ considérez non seulement le mécanisme articulaire avec ce petit fulcrum de la faux et de la tente, mais également le fulcrum dans la fluctuation du liquide céphalo-rachidien, son still point ” (Sutherland, 1998, 336).
Immobilité et Still point
La philosophie de Walter Russell se fonde sur le concept de l’immobilité (stillness[15]) : “ le fondement de l’univers spirituel est l’immobilité, l’immobilité équilibrée de l’univers unique et magnétique de Dieu. Le fondement de l’univers physique est le mouvement, le mouvement toujours changeant qui naît de l’assemblage de conditions non équilibrées et qui doivent à jamais se mouvoir à la recherche de cette immobilité équilibrée dont elles ont jailli ”. (Russell, 1994, 16) La condition d’existence de l’Homme se trouve donc également influencée par cette immobilité “ l’homme doit savoir que sa puissance repose dans l’immobilité de son Moi centralisateur et non dans le mouvement au moyen duquel il manifeste cette immobilité. Il doit savoir que son Moi, c’est Dieu en lui ” (Russell, 1994, 15).
William Sutherland considère le mouvement et la puissance de l’immobilité comme des points essentiels de son traitement ostéopathique, ce qu’exprime Rollin Becker : “ Par votre contact et votre compression, vous réveillez les tissus. Ils commencent à bouger dans la direction qu'ils choisissent, quelle qu'elle soit ; ils reviennent à leur point de départ ; ils repartent, en avant, en arrière, en profondeur ; Jusqu’à ce qu'ils trouvent, à travers votre palpation vacillante, oscillante et mouvante le vrai ‘point d'immobilité’ pour leur résolution ; jusqu'à ce que tout se dissolve dans l'environnement du malade, dans sa ‘biosphère’, suivant le mot de Teilhard de Chardin. Le point d'immobilité... Comment la décrire cette Immobilité dont Walter Russell disait qu'elle était le fondement de l'univers spirituel ” (Duval, 1976, 31).
On retrouve encore cette idée de la puissance de l’immobilité dans la description que William Sutherland fait de ce qui se passe au moment d’un still point : “ Lorsque cette courte période est vibrante, ressentez-la comme un équilibre rythmique dans le fluide. C’est le moment de changement. Il semble comme un état proche d’une animation arrêtée. C’est pourquoi lorsque ce but est atteint, le travail de l’opérateur est terminé. Après le still point, le corps du patient poursuivra le travail. Vous pouvez observer comment il s’y prend, mais votre traitement est terminé ” (Sutherland, 1990, 175).
“ Be still and know ”
Cette citation correspond aux premiers mots du verset 11 du psaume 46, habituellement traduit ainsi : “ Arrêtez et connaissez que moi je suis Dieu ”. On peut également la traduire par : “ Sois immobile et connais… ” ou “ Apaise toi et sache… ”. Comment exprimer en termes plus concis le concept d’immobilité et toute sa puissance potentielle ? Elle est reprise plusieurs fois par Russell et Sutherland. Le premier nous dit : “ nous entendons souvent l'expression ‘Sois calme et connais’ impliquant que la connaissance se trouve dans l’immobilité ” (Lao Russell 1972, 88-89). L’épouse de William Sutherland nous dit que son mari “ obéissait à ce précepte de calme et de connaissance ” (Adah Strand Sutherland, 1962, 66).
L’échange rythmique équilibré
D’après le Docteur William H. Stager, ostéopathe américain, “ l’échange rythmique équilibré fait partie des propos les plus inspirants des Dr Russell, Sutherland et Fulford, aussi bien que de certains étudiants du Dr Sutherland qui l’ont utilisé dans leur vie aussi bien que dans leurs écrits ”. [16]
Walter Russell estime que l’échange rythmique équilibré est une loi fondamentale de l’univers : “ L’échange rythmique équilibré est la loi sous-jacente à la Création se manifestant dans toutes les actes de la Nature. Sur cet unique principe repose la permanence de l’univers. C’est également l’unique principe sur lequel reposent la continuité des actes de l’homme, sa santé et son bonheur ” (Russell 1994, 106).
Il exprime également une loi reliée à l’échange rythmique équilibré, celle de l’expansion rétraction alternative : “ La pulsation cardiaque, le pendule oscillant, l’inspiration et l’expiration des choses vivantes, illustrent tous l’unique loi Divine de l’échange rythmique équilibré. Toute altération dans cette loi au niveau du battement cardiaque mettrait en danger sa perpétuation, mais lorsqu’il existe un échange rythmique équilibré entre les opposés que sont compression et expansion, la vie humaine continue à fonctionner au maximum ” (Russell, 1994, 109).
Sutherland utilise cette loi de manière concrète en reprenant les même termes pour évoquer l’importance des échanges entre liquide céphalo rachidien et sang : “ Dans le concept crânien, ceci illustre le mécanisme qui produit cet échange mutuel rythmique équilibré entre le liquide céphalo rachidien et le sang ” (Sutherland, 1998, 190-191).
Il évoque également le même concept en décrivant un des effets de la compression du quatrième ventricule : “ Le praticien crânien a appris une méthode spécifique de compression du quatrième ventricule et par l'intermédiaire de cette technique douce, établit un ralentissement dans la fluctuation du liquide céphalo rachidien jusqu'à atteindre un fonctionnement sur une période au rythme court. Il ne s'agit pas d'une affirmation de paresseux. La méthode peut être immédiatement démontrée. Dès que ce rythme sur une courte période est atteint, un échange rythmique équilibré se produit entre tous les fluides du corps. A cause de cet effet physiologique on a dit aux praticiens : ‘Si vous ne savez pas quoi faire, comprimez le quatrième ventricule’. ” (Sutherland, 1998, 218).
Il préconise même d’utiliser cet échange rythmique équilibré pour aider la libération des dysfonctions vertébrales : “ Pendant l’échange réciproque survenant entre tous les fluides, survient un dégrippage comparable à l’action de l’huile pénétrante utilisée par tous les mécaniciens sur les boulons rouillés pour éviter d’abîmer les filetages. La fluctuation rythmique de l’échange fluidique réciproque équilibré est précieuse dans la réduction des lésions vertébrales chroniques anciennes, non seulement parce qu’elles deviennent plus faciles à libérer mais également parce qu’il y a moins de ‘grippage’ dans ce que nous pourrions appeler les ‘boulons rouillés’ au sein des articulations ” (Sutherland, 1998, 274).
Les vagues et la marée
Pour décrire la vague universelle animant toute les structures animées de vie, Walter Russell utilise un exemple tiré de la physiologie : “ La science à venir nous révélera que chaque cellule et chaque organe du corps obéit à ce principe de spirale ouvrante et fermante. Les ondes ne pulsent pas comme des leviers ; elles pulsent plutôt comme un spiral de montre ou comme le diaphragme d’un appareil photographique que l’on ferait ouvrir et fermer continuellement. Ainsi pulsent les battements cardiaques et le battement universel. Que l’on considère la matière à un niveau microscopique ou macroscopique, nulle part n’existe d’exception à cette loi et à ce processus. Tous les secrets de la création résident dans l’onde ” (Lao Russell 1972, 157). Il recourt également à la métaphore des vagues pour faire comprendre l’idée de fluctuation : “ La pensée Divine s’exprime par des projections d’ondes mouvantes à deux voies issues de la conscience, comme un levier oscillant à partir d’un point d’appui fixe, ou comme des vagues naissant d’une mer calme ” (Russell, 1994, 22).
William Sutherland exprimait l’alternance fondamentale de la fluctuation en la comparant à la marée de l’océan. Il la considérait comme la manifestation du “ souffle de vie ” qui imprègne toute structure vivante. Vers la fin de sa vie, il conseillait d’utiliser la puissance de la Marée pour corriger les lésions ostéopathiques : “ Lorsque vous obtenez cette vibration au centre de la Marée, c’est l’immobilité de la Marée – il ne s’agit pas des vagues déferlantes qui se ruent sur le rivage. C’est le but de la technique. Comme le mécanicien du corps humain comprend le principe mécanique de cette fluctuation de la Marée, vous êtes en contact avec le potentiel inhérent, la puissance qui traite et résout les problèmes ” (Sutherland, 1998, 173).
Et plus encore …
Les concepts de Fulcrum, de still point, d’échange rythmique équilibré et de potentiel inhérent de la marée sont abordés dans l’enseignement de l’ostéopathie crânienne. Mais sur la fin de sa vie, Sutherland allait beaucoup plus loin dans le domaine spirituel. Les notions qu’il a développées alors se retrouvent aussi bien dans ses textes que dans ceux de Walter Russell.
La transmutation
A l’instar des alchimistes, Walter Russell nous parle de transmutation : “ Dans la prochaine décennie, le secret de la transmutation sera résolu et l’homme sera capable de jouir d’une surabondance d’eau qu’il tirera de l’atmosphère et sera capable de transmuter tous les métaux dont il a besoin à partir du sable des déserts et de la mer – même en or ” (Lao Russell 1972, 110).
Dans leur mémoire de fin d’étude présenté en juin 1999, Pietro Biondo et Elisabeth Henry écrivent[17] : “ En 1948, à l'âge de 75 ans, Sutherland amène l'idée que le Breath of Life se retrouve à l'intérieur du liquide céphalo-rachidien, l'associant ainsi à une notion d'anatomie-physiologie. Par la suite, il référera sans cesse à ces liens dans tous ses écrits. Il relie de plus cette notion à celle du LCR le ‘Highest known element’ (Élément connu le plus noble du corps humain) déjà décrite par Andrew Taylor Still (Still, 1999, 40), et c'est à cette époque qu'il parle d'une ‘transmutation’ du ‘Highest known element’ à l'intérieur du liquide céphalo-rachidien. Phénomène qu'il expliquera en 1953 comme ‘un changement de nature, substance, forme ou condition’ ” (Sutherland, 1998, 338) et Sutherland ajoute également : ‘cette transmutation est peut-être la force des nerfs à laquelle Dr Still se référait’.” (Sutherland, 1998, 215, 347).
La Lumière de la vitalité
Dans The Secret of Light, Walter Russell expose de manière détaillée que la compréhension du phénomène de la lumière est indispensable à la compréhension et l’explication de la Vie.
En 1979, dans The Search for an Answer, conférence à la mémoire de Sutherland, Robert Fulford évoque l’importance que ces deux hommes accordaient à la lumière : “ J’ai acquis la certitude que le Dr Sutherland était conscient des champs énergétiques lorsque j’ai vu citer son nom dans un livre. Dans ce livre, In The Continuity of Life, Why You Cannot Die, Lao Russell décrit page 198 : ‘ce flash de lumière au moment de la séparation de l’Esprit-conscience localisé dans la glande pinéale située au centre la tête, du siège de la sensation localisé dans les deux lobes du cerveau.’ Page 199 : ‘Mon défunt époux fondait sa conviction sur la conclusion du court-circuit, en partie sur le fait que chaque expérience affectait son nerf optique, le rendant aveugle pour un long moment comme un homme se forçant à regarder directement le soleil. Pour vérifier son opinion, que la lumière était l’effet physique d’un court-circuit, il consulta le Dr William Sutherland un spécialiste crânien connu, qui attacha un négatif spécialement préparé au cerveau d’un homme mourant. À l’instant de la mort, un éclair de lumière fut enregistré sur le négatif, prouvant que la lumière était bien ce que mon époux imaginait.’
On peut donc se demander si ces expériences réalisées avec Russell ne seraient pas à l’origine de l’évocation que fait William Sutherland de la Lumière Liquide pour décrire la vitalité circulante dans les êtres animés : “ Je veux que vous voyiez cette invisible lumière liquide ou Souffle de Vie comme une couche éclairante et une transmutation. ” (Sutherland, 1990, 34).
Pourquoi cette relation est-elle si peu connue ?
À aucun moment William Sutherland n’a évoqué sa relation avec Walter Russell. Craignait-il que cela porte préjudice au développement de l’ostéopathie crânienne ? La question reste entière.
A l’exception de quelques ostéopathes élèves de Robert Fulford – lui-même élève de Sutherland ayant côtoyé Russell –, cette filiation philosophique entre les deux hommes n’est jamais mentionnée.
Même Joey Korn un responsable de l’Université de Science et de Philosophie (dénomination actuelle de la Fondation Russell, créée par Walter et Lao Russell dans le but de propager leur enseignement), contacté par Internet n’a pu nous donner plus d’information sur cette relation.
Doit-on pour autant conclure que Walter Russell n’a pas influencé Sutherland ? L’analyse comparative de leurs écrits semble démontrer le contraire. Même si la manière dont ils expriment leurs concepts diffère, – Russell apparaît plus comme un théoricien, alors que Sutherland, plus concret, applique à son vécu journalier – les points communs et les similitudes abondent au point qu’il semble difficile, sachant qu’ils se sont connus, de penser qu’il n’y a pas eu d’influence.
Comme Andrew Taylor Still en son temps, William Sutherland a intimement expérimenté la relation corps-esprit. Il a été peu suivi par ses successeurs qui, pensant la rendre scientifiquement plus présentable, ont abâtardi sa pensée. Une des premières altérations vient de Magoun lui-même. La première édition de son livre Osteopathy in the Cranial Field, supervisée par Sutherland qui avalisa la publication, date de 1951. Dans cette édition, voici comment commence la présentation du mécanisme respiratoire primaire : “ Toute vie se manifeste en énergie et mouvement. Sans un minimum de mouvement, seule la mort règne. De plus, le mouvement est essentiel à la fonction. Mais, pour que l’organisme vivant puisse rivaliser avec son environnement, ce mouvement doit être intelligent et déterminé. Ce mouvement doit donc être guidé et dirigé par un Être Suprême. Une transmission émanant de l’Intelligence Universelle doit se propager jusqu’à la cellule ou l’organisme individuels. Autrement, régnerait le chaos. Qu’est l’Intelligence Suprême ? Comment s’effectue cette transmission ? Personne ne le sait avec certitude. Il n’en demeure pas moins que son existence constitue un fait positif et irréfutable souligné par les plus grands scientifiques de ce monde ” (Magoun 1951, 15).
Les éditions ultérieures du livre de Magoun ont considérablement altéré nombre de points que William Sutherland, à la fin de sa vie, estimait essentiels. Notre propos n’est pas tant de prendre parti que de restituer la pensée de l’auteur, seul moyen honnête de permettre à celui qui veut connaître l’information exacte d’en disposer. À lui par la suite de parcourir son chemin. Dans cette optique, il nous a semblé essentiel de souligner l’influence que la philosophie de Walter Russell a sans doute exercé sur William Sutherland.
Bibliographie
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Clark, Glenn. The Man who Tapped the Secrets of the Universe. University of Science and Philosophy, Swannanoa, Waynesboro, 1996.
Duval, Jacques Andréva. Introduction aux techniques ostéopathiques d’équilibre et d'échange réciproque. Maloine, Paris, 1976 - ISBN: 2-224-00266-1.
Fulford, Robert C. "The Search for an Answer." Cranial Letter. Cranial Academy, 1979.
Jealous, James. "Ostéopathie biodynamique, Phase 1 & 2.," Author. 1997.
Magoun, Harold I. Osteopathy in the Cranial Field – First Edition. Journal Printing Company, Kirksville Mo, 1951.
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Sutherland, William Garner. Teachings in the Science of Osteopathy. Rudra Press, Portland, 1990.
Sutherland, William Garner. The Cranial Bowl. Free Press Company, Mankato Mn, 1939.
[1] Cours d’ostéopathie Biodynamique phase 1, 1997. [2] Avril 1948, cycle de conférences de Des Moines. Contributions of Thought. pp 183-211. [3] Dig on : Du verbe anglais to dig “ creuser ”. Allusion à un épisode de son enfance que Sutherland évoque fréquemment dans ses écrits : Son père l’envoyait chaque jour creuser dans le champ à la recherche de pommes de terre. Et chaque jour, il en trouvait de nouvelles. (Strand Sutherland, 1962, 4). [4] Ostéopathe américain, élève de Robert Fulford. [5] Revue Midline , Automne 1999, p. 6, Publiée par La fondation Crânienne Sutherland du Canada. – Montréal. [6] Ostéopathe américain contemporain élève de Robert Fulford. [7] Stagger, William H. “Thoughts on healing : Remembering Dr. Fulford and a deeper osteopathy” AAO Journal, Spring 1999, Vol 9, p. 10. [8] Ignacy Jan Paderewski (1860-1941) compositeur, pianiste et homme politique polonais. Il fut le premier président du Conseil de la République polonaise en 1919. [9] George Bernard Shaw, (1856-1950) écrivain irlandais auteur de romans, d'essais et de pièces de théâtre où se révèlent son humour et son pessimisme. (Prix Nobel de littérature en 1925). [10] Il envisagea deux des plus grandes découvertes des temps modernes – les isotopes de l’hydrogène qui conduisirent à la découverte de l’eau lourde et les deux nouveaux éléments utilisés dans la bombe atomique. (Clark, 1996, 16). [11] La traduction de cet article figure dans ce numéro de la Revue de l’Académie. [12] Allusion à un dicton anglo-saxon : “ As the twig is bent, so is the tree inclined ” que l’on pourrait traduire par : “ Comme la jeune pousse est courbée, l’arbre se penche ”. [13] Rollin Becker évoque cela en parlant de l’œil du cyclone “ L’œil du cyclone représente un formidable centre d’immobilité et bien qu’étant une immobilité évidente, il est également un lieu de fulcrum automatique suspendu et se déplaçant à travers l’océan. ” (Becker, 1965). [14] En différentes occasions, lorsqu’un cours de concept crânien se terminait, le Dr Sutherland donnait une causerie improvisée intitulée “ la promenade du vairon ”. Chaque promenade était différente des autres mais l’idée générale, était toujours la même : décrire le cerveau comme si on le voyait de l’intérieur. [15] Le mot “ stillness ” indique le concept de tranquillité, mais également celui d’immobilité. Il ne s’agit pas seulement de l’immobilité physique, mais de l’immobilité reliée à l’état d’être que R. Becker évoque dans sa conférence “ Be Still and Know ” (Becker, 1965). [16] William H. Stager: “ Thoughts on healing: Remembering Dr. Fulford and a deeper osteopathy ” CSPOMM, of West Palm Beach, Florida. [17] Etude Herméneutique du “ Souffle de Vie ” dans l’enseignement de W.G. Sutherland. par : Pietro Biondo et Elisabeth Henry, Mémoire présenté au jury international à Montréal. Juin 1999.
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